Auteur/autrice : Marie-Anne Guillemain

  • Pas de forêt, pas d’eau !

    Pas de forêt, pas d’eau !

    « Le vert pays des eaux vives ». C’était le slogan de notre département, parcouru par trois mille kilomètres de cours d’eau et qu’on aurait d’ailleurs pu appeler « les Nièvres », puisque trois rivières portent ce nom. Mais les eaux vives, c’était avant que l’eau ne vienne à manquer. Le slogan a été abandonné. Tous les ans, nous sommes informé·es qu’il nous faut restreindre notre consommation. Ce ne L’arrêté préfectoral du 30 juillet étend cette année les restrictions à tout le département. La faute au réchauffement climatique, un phénomène planétaire que notre petit département ne pourrait que subir ? Non. Certaines activités aggravent la pénurie. C’est le cas d’une exploitation forestière aberrante, encouragée par le gouvernement, qui détruit notre bien commun pour le profit de quelques uns. En forêt comme ailleurs, le capitalisme tue.

    La forêt couvre 34 % du département de la Nièvre, du moins sur le cadastre, parce que les forêts disparaissent et avec elles notre ressource en eau. Il suffit de traverser le Morvan, qui concentre la plus grande partie de la forêt départementale, pour constater l’ampleur du désastre : partout, des coupes rases. En coupant d’un seul coup tous les arbres, le sol est brusquement mis à nu. Il en résulte d’abord une élévation brutale des températures fatale pour les espèces végétales, animales et les champignons que le couvert forestier abritait. Cela impacte tout le milieu environnant. Entre le sous-bois et l’extérieur de la forêt, la différence de température est en moyenne de 4° et peut atteindre 15°. Quand on multiplie les coupes, on augmente mécaniquement la température. Mais ce n’est pas tout.

    Les arbres transpirent. Ils contribuent ainsi à humidifier et à rafraichir l’atmosphère. L’humus forestier et les racines des végétaux sont des éponges qui retiennent et filtrent l’eau. La forêt est une réserve d’eau potable. Quand on coupe à ras, puis, comme c’est malheureusement souvent le cas, quand on enlève les souches des arbres abattus, on supprime la réserve en eau et on libère le CO2, dont la moitié en forêt se trouve dans les sols, et dont nous sommes pourtant censés réduire drastiquement les émissions. Les engins forestiers, de plus en plus gros, de plus en plus lourds, tassent le sol, empêchent l’eau de s’infiltrer. En cas de forte pluie, plus rien ne retient l’humus quand les pentes sont importantes. La biodiversité et la fertilité s’effondrent. Les forêts, déjà fragilisées par la crise climatique, dépérissent encore plus.

    Si l’exploitation se limitait aux coupes rases, ce serait déjà grave. Avec le remplacement des feuillus par des monocultures de résineux, cela devient dramatique. Les résineux poussent plus vite, pompent plus d’eau, sont plus exposés au risques d’incendies et sont coupés de plus en plus jeunes, ce qui accélère le phénomène. Les monocultures sont aussi beaucoup plus fragiles qu’une forêt diversifiée. Nous l’avons vu avec la prolifération des scolytes qui a détruit les milliers d’hectares plantés en épicéas dans les grandes propriétés forestières.

    Nul besoin d’être un spécialiste scientifique pour comprendre que, comme dans un élevage industriel de poulets, la concentration favorise les épidémies. Et pourtant, non seulement la leçon n’a pas été retenue, mais la poursuite de l’industrialisation est encouragée : 87 % du budget du plan de relance en forêt a été utilisé pour installer des monocultures concentrant des résineux après des coupes rases !

    Ces mesures s’ajoutent aux multiples avantages financiers dont bénéficient la filière industrielle et les gros propriétaires : exonération de la taxe foncière, de l’impôt sur la fortune immobilière, crédits d’impôts pour l’achat, les travaux forestiers et même l’assurance ! La forêt est une niche fiscale, dont ne profitent évidemment pas les plus petits (par exemple, le crédit d’impôt en cas d’achat de forêt n’est octroyé qu’à partir de 4 hectares, les micro-entreprises de travaux forestiers sont exclues des dispositifs d’aides…).

    En matière d’aberrations, la Région n’est pas en reste : il a fallu attendre le printemps 2025 pour que le Conseil régional, à majorité PS depuis 20 ans mette fin aux subventions à la mécanisation de l’exploitation forestière, sous la responsabilité de Sylvain Mathieu, conseiller régional PS chargé des forêts mais aussi gérant d’un groupement forestier à Arleuf, commune où la monoculture de résineux est devenue la norme… et qui est située dans la zone où les restrictions d’eau sont les plus importantes, comme le montre la carte publiée avec l’arrêté de la préfecture de la Nièvre.

    Dès sa création, la France insoumise a élaboré un programme pour mettre fin au massacre écologique et social qui ravage les forêts. Dès 2019, nous avons innové à l’Assemblée nationale avec une commission parlementaire citoyenne sur la forêt. Cette commission a permis que Mathilde Panot dépose une première proposition de loi pour interdire les coupes rases sur de grandes surfaces. En 2023, Catherine Couturier, députée de la Creuse, a déposé une proposition de loi relative à l’adaptation de la politique forestière et des milieux forestiers face au changement climatique. Cette loi aurait pu être votée si Emmanuel Macron n’avait pas dissous l’Assemblée nationale. Qu’à cela ne tienne ! La proposition a été redéposée par Béranger Cernon au mois de juin.

    Le programme forêt de notre mouvement a été jugé le meilleur de tout l’échiquier politique au moment de l’élection présidentielle de 2022, notamment par le Shift Project. Que proposons-nous ? De faire bifurquer la politique forestière pour que les intérêts financiers passent après la survie de ces écosystèmes, donc la nôtre. Cela passe bien sûr par l’interdiction des coupes rases, la réorientation des aides vers des pratiques respectueuses des écosystèmes, le rétablissement d’un véritable service public forestier (depuis 2000, l’ONF a perdu le tiers de ses effectifs!), l’instauration de la sylviculture mélangée à couvert continu comme mode de gestion forestière par défaut, une part importante de la forêt laissée en libre évolution, le remaillage du territoire avec des unités de transformation du bois à taille humaine, l’arrêt immédiat des projets industriels de bois énergie soutenus par le gouvernement, qui vont jusqu’à transformer les forêts en carburant pour les avions !

    Vous pouvez retrouver nos propositions pour la forêt sur le site Internet de la France insoumise. Comparez avec ceux des autres partis. Et bon courage pour trouver celui du RN : dans le programme « écologie » de Marine le Pen pour la présidentielle, le mot forêt est tout simplement absent. En 2022, l’association Adret Morvan avait questionné les candidats aux législatives sur leurs propositions pour la forêt. Ni le candidat macroniste, ni celui du RN, n’avaient jugé utile de répondre. Le programme RN des législatives 2024 ? Pas un mot non plus sur la forêt. Et si Julien Guibert, l’actuel député RN de la Nièvre, veut développer l’économie du bois, il omet de préciser que dans la Nièvre comme ailleurs, la ressource se tarit et que beaucoup de bûcherons, l’un des métiers les plus dangereux (l’espérance de vie y est de 62,5 ans), sont des travailleurs immigrés.